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Servitude et soumission

Publié le 25/12/2016 à 14:48 par boumeshouli
Servitude et soumission

 

 

Rappel du sujet :

 «Les peuples, une fois accoutumés à des maîtres, ne sont plus en état de s’enpasser », Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.

 

 

I. Phase préparatoire 

 

  1. Analyse du sujet :

L’assertion de Rousseau doit être l’occasion d’une analyse appropriée, afin de l’affirmer ou l’infirmer, en en montrant la validité ou les limites. L’analyse d’une citation récuse l’improvisation, puisqu’elle exige aussi bien une préparation préalable, pour s’imprégner du thème et ses enjeux, qu’une assimilation des procédés de l’analyse, comme le champ lexical, le champ sémantique, le synonyme, l’antonyme, etc. Le développement doit s’appuyer sur des exemples pertinents, puisés dans les œuvres au programme. Les éléments, nécessitant une analyse judicieuse, sont ici :

  1. Les peuples : ensemble de personnes, vivant en société, unies par des liens socio-politiques, un territoire ; la masse par rapport aux classes distinguées ou même dominantes. Dans un sens familier, le mot signifie tout le monde. 

  2.  Accoutumés à des maîtres : faire prendre aux peuples/ gens une habitude ; les façonner, voire même les plier. Antonymes : déshabituer, libérer. Il s’agit d’une condition, subie ou volontaire, qui annule une certaine nature (liberté) et en impose une seconde, à savoir la servitude et  la soumission à des seigneurs et propriétaires. C’est une situation anti-nature, puisqu’elle métamorphose le rapport naturel homme-homme, en maître-valet/sujet/serviteur/domestique/esclave.    

  3. Ne sont plus en état de s’en passer : L’accoutumance devient un état permanent, interdisant tout espoir d’émancipation ou libération. La négation totale (ne...plus) suggère l’incapacité et l’inaptitude à renouer avec l’état natif. D’où vient cette force de l’habitude ? L’oubli de l’état initial ? La peur ? La détérioration de l’esprit ?

     

  1. Les enjeux du sujet :

     

  1. Il s’agit de considérer le processus de la soumission et les moyens qui asservissent l’homme.

  2. Cependant, la formule de Rousseau, aussi lapidaire et affirmative soit-elle, ne doit pas empêcher de la remettre en cause. En fait, le rapport maître-esclave s’inscrit dans une logique dynamique, très peu compatible avec le verdict rousseauiste.

    Il est vivement recommandé de ne pas reprendre le plan contenu déjà dans l’assertion de Rousseau. 1. Tomber dans la servitude et la soumission. 2. Pérennité de cet état. Il ne s’agit jamais de paraphraser, mais de problématiser, en engageant une controverse, clairement identifiable dans un plan dialectique. Contre le postulat statique et figé dans la synchronie, il serait préférable de proposer la vision dynamique et diachronique.

  3. La dissertation ne doit jamais être l’occasion de se moquer ou de condamner, mais de comprendre, conformément au célèbre précepte de Spinoza.

  1. Problématique : L’état de servitude n’est-elle pas aussi l’occasion pour valoriser et affirmer sa condition d’être libre ?

  2. Plan :

  1. Se soumettre aux maîtres

  1. L’impact de l’ignorance

  2. Cage dorée de la servitude

  1. Cependant, le sens de la liberté persiste

  1. La nature humaine

  2. Quête irrésistibles du vrai bonheur

  1. D’où, la possibilité de se libérer

  1. Penser

  2. Agir   

    II. Rédaction

La liberté est ce qui fonde la qualité de l’homme en tant que tel. Mais, un tel constat n’induit pas, contre toute attente, l’impossibilité de l’annuler. Jean Jacques Rousseau, dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, met en garde contre toute attitude optimiste, en soulignant explicitement que cette qualité fondatrice est tellement fragile qu’elle peut céder la place à des qualités contraires, à même d’étouffer toute velléité de l’état initial : « Les peuples, une fois accoutumés à des maîtres, ne sont plus en état de s’en passer». Le propos montre clairement l’état nouveau qui supplante, en permanence, l’état natif et naturel. Il s’agit d’une nature seconde qui dilue et supprime l’essence de l’être humain. L’être naturellement libre est désormais appelé à s’assujettir à un autre, par la force de l’habitude, résultat d’un processus de dressage, fondé sur la contrainte et la domestication. Mais, mû par la quête incessante de soi, l’être humain ne manque pas de dénier à l’état de la servitude et de la soumission son caractère pérenne. N’est-il pas alors légitimé de considérer ce même état comme l’occasion pour valoriser et  affirmer sa condition d’être libre ? DansLettres persanes de Montesquieu,Discours de la servitude volontaire d’Etienne de La Boétie, etUne maison de poupée d’Ibsen, l’homme est contraint d’abord à se soumettre à un autre selon divers moyens ; cependant, il n’est pas en mesure d’étouffer l’irrésistible appel de la liberté, qui saisit sa conscience ; ce qui constitue une possibilité pour s’affranchir et s’émanciper.  

Les œuvres considérées montrent, selon des modalités différentes, la soumission de l’homme à des maîtres. Cette aptitude étrange, qui consiste à renoncer à sa liberté initiale, est attribuée à l’ignorance, ou encore au monde doré de la servitude.

Renoncer à sa liberté, et se contenter de servir un autre, ne peut pas se faire sans renoncer à l’usage de la raison. Montesquieu ramène clairement le malheur des hommes à l’usage défectueux de la raison.  De ce fait, ils cèdent leur liberté soit à des maîtres visibles, leur inspirant la terreur, soit à des êtres imaginaires, qui annulent leur aptitude à agir au profit de vaines espérances : « Les hommes sont bien malheureux ! Ils flottent sans cesse entre de fausses espérances et des craintes ridicules, et, au lieu de s’appuyer sur la raison, ils se font des monstres qui les intimident, ou des fantômes qui les séduisent. » Un tel constat montre visiblement que l’état de servitude ne peut avoir lieu que par le consentement du sujet lui-même. C’est lui qui se fait des monstres, dès lors qu’il renonce à la raison, comme le confirme La Boétie : « Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien ! » Dans cette charge contre les peuples asservis se lit bon nombre d’attributs de l’ignorance « insensés ; opiniâtres ; aveugles » Pour La Boétie, l’ignorance n’entraîne pas seulement la servitude, mais elle l’agrémente et le fait désirer par les peuples. Dans Une maison de poupée, Helmer veille à emprisonner et assujettir, en abaissant l’esprit de Nora au niveau zoologique : « Nora ! Ici tu es à l’abri : je te garderai comme une colombe que j’aurais recueillie, après l’avoir retirée saine et sauve des griffes du vautour. »

La servitude et la soumission se manifestent rarement dans leur réalité crue et révoltante. Aussi, ont- elles besoin de séduire et de créer l’illusion du bien-être ou même du bonheur. Pour La Boétie, l’ingéniosité des maîtres consiste dans le fait d’avoir découvert que soumettre exige, en amont et en aval, un travail de fascination et de leurre, destiné à abrutir le sujet, pour mieux le dompter.  : « Ce qui est certain, c’est que le tyran ne croit jamais sa puissance assurée, s’il n’est pas parvenu au point de n’avoir pour sujets que des hommes sans valeur. » Le moyen pour ajuster les hommes, à l’aune de l’insignifiance, est la « ruse des tyrans d’abêtir leurs sujets.» Dans Une maison de poupée, le même procédé est observé, puisque le sujet de l’asservissement est constamment alléché et endormi. Une série de dénomination «  alouette, écureuil, colombe, étourneau » dépouille l’être humain qu’est Nora de son intégrité, en lui substituant une créature scandaleusement satisfaite, et incapable de protester ou de considérer autrement sa condition : « Oh ! Kristine, que je me sens heureuse et le cœur léger.» Le sentiment d’être heureuse s’assimile même à celui de la béatitude : « (Elle se lève d’un bonde et frappe des mains.) Mon Dieu, mon Dieu, Kristine, que c’est donc bon et délicieux de vivre et d’être heureux ! » Les lettres persanes sont d’abord un roman de sérail. C’est le lieu par excellence de la mutilation au sens propre. Mais, le maître n’est pas dépourvu de subtilité, et il sait que la servitude repose, avant tout, sur l’art de plaire et de séduire, et au geôlier, il intime l’ordre suivant : « Procure-leur tous les plaisirs qui peuvent être innocents ; trompe leurs inquiétudes ; amuse-les par la musique, les danses, les boissons délicieuses ». Assujettir, c’est tromper par l’amusement et le pourvoi des plaisirs.

Aussi puissants que puisse être l’abêtissement et l’art de tromper, ils ont leurs limites face à l’être humain qui, de nature, ne peut pas s’interdire éternellement d’aspirer à la liberté, don de la nature, et partant inaliénable ; ni de réprimer continuellement la recherche du vrai bonheur.  

Ce désir irrésistible de retrouver la dignité bafouée et tant réprimée, La Boétie l’explique par le fait que tous les hommes sont naturellement égaux, et qu’ils sont façonnés de manière identique : « Ce qu’il y a de clair et d’évident pour tous, et que personne ne saurait nier, c’est que la nature, premier agent de Dieu ( …) nous a tous créés et coulés, en quelque sorte au même moule, pour nous montrer que nous sommes tous égaux, ou plutôt frères.» Il en découle que l’idée de la liberté est aussi claire qu’évidente, alors que la servitude ne peut être qu’une escroquerie et une agression : « Quel malencontre a été cela, qui a pu tant dénaturer l’homme...? » L’homme ne peut donc pas être totalement sourd à l’appel de la liberté : « La liberté est donc naturelle ; c’est pourquoi, à mon avis, nous ne sommes seulement nés avec elle, mais aussi avec l’affectation de la défendre.» Nora en est parfaitement consciente : « Je crois avant tout que je suis un être humain, au même titre que toi…ou au moins que je dois essayer de le devenir.» Dans les Lettres persanes l’être humain ne peut pas se réduire à l’état de la chose, dépourvue de tout sentiment ou désir, comme le confirme Usbek, dans une formule paradoxale : « On peut cesser d’être homme, mais non pas d’être sensible». C’est cette part incessible dans la nature humaine que Roxane revendique face au même Usbek : « Comment as-tu pensé que je fusse assez crédule pour m’imaginer que je ne fusse dans le monde que pour adorer tes caprices ? »

Le pendant de la liberté est la quête du bonheur, véritable pierre de touche, qui démystifie et avertit la victime. L’état de l’asservissement est toujours précaire, puisque l’interrogation sur le bonheur est une constance chez l’homme. Aussi persuasif soit-il, le discours du maître ne peut pas falsifier le sens du bonheur. Contre la rhétorique mensongère d’Usbek, visant à la mystifier : «  Que vous êtes heureuse, Roxane, d’être dans le doux pays (…) Que vous êtes heureuse ! Vous vivez dans mon sérail comme dans le sérail de l’innocence, inaccessible aux attentats de tous les humains», Roxane oppose une conception aussi claire qu’évidente, car elle est conforme à la nature : «J’ai réformé tes lois sur celles de la nature ; et mon esprit s’est toujours tenu dans l’indépendance.» Dans Une maison de poupée, Nora réussit enfin à distinguer le bonheur des formes simulacres. « Helmer. - N’as-tu pas été heureuse ici ? Nora.- Jamais, j’ai cru l’être, mais je ne l’ai jamais été. Helmer. – Tu n’as pas été … Tu n’as pas été heureuse ! Nora.- Non : j’ai été gaie, voilà tout (…) j’ai été poupée-femme chez toi. » C’est dire que le bonheur du sujet ne peut jamais dépendre d’un maître, même bienveillant, puisqu’il est toujours en son pouvoir de le convertir en cauchemar, comme le constate La Boétie : «  C’est un extrême malheur que d’être assujetti à un maître, dont on ne peut être jamais assuré qu’il soit bon, puisqu’il est toujours en sa puissance d’être mauvais quand il le voudra. »

Après avoir renoué avec sa nature humaine, tant bafouée et déformée, le sujet saisit sa chance et n’hésite pas à revendiquer son affranchissement. Désormais, il est capable de penser, contre l’opinion qui justifie son esclavage ; et il est en mesure de mettre en pratique cette pensée.

Se libérer, c’est d’abord remettre en question l’ordre de l’esclavage, en rejetant toute la culture qui le fonde. La pensé est donc un pas décisif dans la délivrance, c’est pourquoi elle est tout bonnement interdite, comme le rappelle La Boétie : « Le grand turque s’est bien aperçu que les livres et la pensée donnent plus que toute autre chose aux hommes le sentiment de leur dignité et la haine de la tyrannie. Je comprends que, dans son pays, il n’a guère de savants, ni n’en demande.» Dans une lettre adressée à Usbek, Rhédi croit que la propagation des œuvres d’art est néfaste pour la monarchie, mais ce qu’il n’ose pas dire ouvertement, c’est que le mouvement de la pensée, insufflé par l’art est le fossoyeur de toute tyrannie : « Tu as lu les historiens : fais-y bien attention ; presque toutes les monarchies n’ont été fondées que sur l’ignorance des arts, et n’ont été détruites que parce qu’on les a trop cultivés.» Aussi, exprime-t-il sa gratitude envers l’absence de toute pensée libre dans ses sphères : «Heureuse l’ignorance des enfants de Mahomet ! » Pourtant, aucune censure de la pensée n’est éternelle. Nora s’en rend compte et ose le dire à Helmer : « Je sais que la plupart des hommes te donneront raison, Torvald, et que ces idées-là sont imprimées dans les livres.» Nora opère ici une vraie table rase et, dans un effort de doute critique, elle supprime toute la doxa, en faisant sienne la propédeutique de Kant « ose savoir » : « Mais ce que disent les hommes et ce qu’on imprime dans les livres ne suffit plus. Il faut que je me fasse moi-même des idées là-dessus, et que j’essaie de me rendre compte de tout.» La remise en cause n’épargne aucun ordre de la servitude : « Quand j’étais chez papa, il m’exposait ses idées et je les partageait. Si j’en avais d’autres, je les cachais.»

Une fois le sujet désabusé, il devient impossible pour lui de se maintenir dans l’état de la servitude. Vivre signifie désormais, au grand dam du maître, choisir librement. Car, le vécu incompatible avec la pensée, devient un enfer, justifiant l’effort de l’affranchissement. : « Soyez résolus de ne servir plus, et vous serez libres.», écrit La Boétie. La délivrance est possible, puisque le peuple peut choisir : « d’être sujet ou d’être libre.» Et tant on s’éloigne du tyran, tant on peut se libérer : « S’approcher du tyran, est-ce autre chose que s’éloigner de la liberté ? » Dans les Lettres persanes, le désordre dans le sérail n’est pas le résultat d’une discipline défaillante, ou d’un pouvoir permissif, mais il est mû par le désir de se délivrer, qui se manifeste justement en l’absence du maître. Tous les interdits sont foulés aux pieds, comme le rapporte le grand eunuque à Usbek : « Zélis allant, il y a quelques jours à la mosquée, laissa tomber son voile (…) J’ai trouvé Zachi couchée avec une de ses esclaves (…) » Le désordre est tel qu’il s’apparente, augrand détriment de Solim, à une véritable délivrance : « On ne trouve plus sur le visage de tes femmes cette vertu mâle et sévère qui y régnait autrefois : une joie nouvelle, répandue dans ces lieux, est un témoignage infaillible, selon moi, de quelque satisfaction nouvelle .» Nora décide de quitter le lieu de sa servitude, qui ne diffère qu’en degré, et non en nature, du sérail : « Il me faut être seule pour me rendre compte de moi-même et de tout ce qui m’entoure. Aussi, ne puis-je rester avec toi (…) C’est indispensable.»

 

Le propos de Rousseau met en garde contre le risque de perdre à jamais sa liberté, lorsqu’on se soumet fort longtemps à un maître. L’approche des œuvres au programme nous a permis d’abord de considérer les moyens déployés par le système coercitif, tels l’ignorance et la persuasion. Cependant, nous avons aussi montré que l’état de la servitude, eu égard à la nature humaine, ne peut jamais étouffer définitivement le sens de la liberté et l’interrogation sur le bonheur. Dès lors, agir pour concrétiser son affranchissement est inévitable.

Brahim Boumeshouli

CPGE-Salé